Un mot n’arrive jamais seul, hors-sol ou hors-corps : l’essai qui suit cherche à arpenter le sol du langage contemporain, les surfaces où s’enkystent au quotidien, de phrase en phrase, de gros titres en blogs, les élevages de poussières lexicales d’aujourd’hui – d’un aujourd’hui sans air et sans « huis », et dont le peu de jour a récemment fait place aux « nuits debout » de la Place de la République et d’autres places, tenues à partir du 31 mars 2016.
Pour Mallarmé, on se souvient que, de ces deux mots, la« nuit » luit, plus lumineuse que le terne mot de « jour ».
C’est à coup de « mots » que s’élabore et s’invente ce qu’on appelle « démocratie ». Sans « mots », pas de « des – mots – cratie ». Si la question de ce qui lie discours et pouvoir est loin d’être nouvelle, elle nécessite d’être repensée à chaque « tournant », à chaque nouvel « aujourd’nuit », à la lettre. Une langue « opère » ou « agit » non seulement en tant que dispositif ou « ordre »de discours, mais en tant que micro-réseau indissociable des corps qui la parlent, l’écrivent, qu’elle traverse de part en part.
Un corps « genré » informe, sitôt écrits, les deux verbes de la phrase précédente : opérer, agir – deux verbes dont la trame graphique plante un fanion de masculinité :la double égide d’un « p » (phallique) ou d’un « g » (érectile), si l’oeil se prête à un retour au graphique. Changer d’échelle, réapprendre le dessin, saisir le trait, les« corps », l’œil d’une lettre, au moment où les techniques d’écriture digitale semblent impliquer de moins en moins le corps écrivant, voilà une façon de remobiliser la« micro-physique » à laquelle Michel Foucault montre que renvoie tout « pouvoir ».
Ce type de micro-approche a pour objet « un nouveau type de relations, une dimension de pensée irréductible au savoir : liaisons mobiles et non localisables ». Il importe de saisir ces liaisons, ces bouts de corps en circulation dans les langues : langue des institutions, langue des revendications.