La reconnaissance de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes est récente. Il a fallu attendre le 21 avril 1944 pour que les Françaises soient éligibles et puissent voter dans les mêmes conditions que les hommes, 1965 pour qu’elles puissent travailler sans demander l’autorisation de leur époux, autant de droits nécessaires pour accéder au rang de citoyennes et prendre part aux projets de la Nation. Au-delà de ces nombreuses réformes qui ont mis en place une égalité formelle entre femmes et hommes, les mœurs ont évolué. Les femmes occupent peu à peu tous les espaces, qu’ils soient scolaires, professionnels, politiques et publics.
Ce vernis cache cependant mal les inégalités qui demeurent. Le marché de l’emploi est très segmenté, le plafond de verre persiste et la précarité est plus que jamais féminine. Les lieux de pouvoirs s’accordent au masculin, que ce soit dans la sphère économique, politique, ou encore culturelle, et les violences que les femmes subissent sont toujours particulièrement étendues et graves. L’accès aux espaces publics n’est pas non plus neutre. Des études récentes ont en effet mis en évidence que les femmes s’y sentent plus en insécurité et y restreignent leurs mouvements9. Cette différence d’accès est notable dans la mesure où l’espace public n’est pas seulement l’ensemble des lieux dans lesquels le public est libre d’aller, mais aussi l’endroit où se forge l’opinion publique. C’est donc un espace central de la citoyenneté.
L’idée que les femmes sont plus vulnérables que les hommes dans les espaces publics est généralement présentée comme une donnée naturelle. Les parents restreignent plus les sorties de leurs filles par craintes d’agressions sexuelles, elles reçoivent toutes sortes de conseils pour éviter d’être agressées, allant de l’habillement au lieu de sortie. Cela semblerelever du sens commun : elles doivent « faire attention » car sinon, elles risqueraient d’être agressées par un inconnu. Paradoxalement, les enquêtes sur les violences montrent clairement que l’espace privé est un lieu bien plus dangereux pour les femmes que les espaces publics sans que cela n’entraîne des mises en garde spécifiques. Or, les femmes vivent régulièrement des agressions verbales ou non-verbales à connotation sexuelle dans la rue. Ce harcèlement par des inconnus est très peu étudié, considéré comme anodin et indolore. Il me semble au contraire qu’il joue un rôle non négligeable dans la formation de la peur que les femmes peuvent ressentir dans les espaces publics.