Les féministes françaises et la « parité »: permanences et renégociations des partitions héritées de la décennie 1970.
Né dans les années 1970, le mouvement féministe de la «seconde vague» paraît particulièrement affaibli dans la France du début des années 1990 : invisibilité politique et médiatique, rétrécissement et non-renouvellement de ses effectifs militants, absence de grandes causes mobilisatrices en sont autant d’indicateurs .
Le « mouvement » se confond alors avec un petit réseau de femmes, dont la plupart appartiennent à la génération du féminisme de la seconde vague (qui a connu son essor dans les années 1970), gravitant autour d’associations, revues et séminaires voués à l’expression de la cause féministe. Dans ce contexte, la revendication de « parité » propagée par l’ouvrage de Françoise Gaspard, Claude Servan-Schreiber et Anne Le Gall, Au pouvoir, citoyennes ! Liberté, Egalité, Parité et l’essor des mobilisations associatives autour de cette cause nouvelle provoque une véritable onde de choc au sein du mouvement.
Au cœur de toutes les discussions dans le petit monde des militantes et chercheuses féministes, la parité devient rapidement l’enjeu d’une profonde ligne de fracture opposant « pro- » et « anti- » parité. Au-delà des désaccords sur cette revendication, le débat oppose des visions antagonistes de la définition même du féminisme, réactivant des clivages hérités du féminisme des années 1970, et que la décennie suivante avait semblé mettre en suspens. Quels sont les enjeux de ces controverses entre féministes autour de la demande de parité ? Quelles définitions concurrentes de la cause féministe s’y affrontent ?
C’est à ces questions que nous nous proposons de répondre en mobilisant les outils de la sociologie, en particulier l’étude des trajectoires militantes et professionnelles des protagonistes du débat. Plus précisément, on se propose de travailler sur une controverse qui émerge dès la première moitié des années 1990 dans l’« entre soi » du mouvement féministe, bien avant que la revendication ne fasse l’objet d’un débat médiatisé impliquant des « personnalités » comme Elisabeth Badinter ou Sylviane Agacinski . Ces discussions ont lieu dans un petit nombre d’arènes académiques (revues savantes, séminaires de recherche, colloques…) majoritairement investies par les «intellectuelles» du féminisme…