Annie Bitbol-Hespériès évoque René Descartes et la médecine

Agnès Sandras (AS)

On connaît le Descartes philosophe mais pas le Descartes passionné de médecine. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi Descartes s’est tourné vers la médecine?

Annie Bitbol-Hespériès (ABH)

Vous avez raison, le constat est juste : René Descartes (1596-1650) est connu comme philosophe, ce qui a contribué à faire oublier qu’il a d’abord été un grand scientifique, reconnu comme tel, et qu’il s’est passionné pour la médecine1.

Comment expliquer ce paradoxe ? Il me semble qu’il témoigne d’un double oubli au sujet du premier livre publié par Descartes, le fameux Discours de la méthode, paru à Leyde, sans nom d’auteur, chez l’éditeur Jean Maire, en 1637.

Le premier oubli est celui du titre complet du livre : Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences. Plus la Dioptrique, les Météores et la Géométrie qui sont des essais de cette méthode.

Or l’oubli du titre complet masque l’enjeu et la richesse de cet ouvrage ambitieux et nécessaire à un moment crucial dans l’histoire des sciences : celui de la révolution scientifique du XVIIe siècle et de l’essor des livres, donc de livres manquant de rigueur scientifique, ou remplis de fausses promesses, comme ceux des alchimistes ou ceux des astrologues.

Revenons à la révolution scientifique et d’abord au mouvement de la Terre autour du Soleil, démontré par Copernic en 1543, confirmé par Kepler et par Galilée. En 1632 à Florence, Galilée a publié en italien le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde (Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo), dans lequel il estime « plus vrai » le système du monde de Copernic que celui de Ptolémée (astronome mathématicien de l’Antiquité).

Or ce livre de Galilée a été condamné par le Saint Office de Rome le 22 juin 1633. Cette condamnation a été un choc pour Descartes, qui rédigeait alors, depuis plus de trois ans, – aux Pays-Bas, où il s’était installé -, un livre ambitieux : Le Monde ou traité de la lumière. Dans ce livre en français – et pas en latin – Descartes voulait s’adresser à un large public et lui « expliquer tous les phénomènes de la nature, c’est-à-dire toute la physique », en particulier les nouvelles théories cosmologiques et les lois de la nature. La condamnation de l’héliocentrisme du Dialogo, autrement dit du mouvement de la Terre, « même si on le propose à titre d’hypothèse » surprend Descartes quand il l’apprend, en novembre 1633. Après avoir espéré que Rome revienne sur cette condamnation, Descartes renonce à publier Le Monde.

Dans le Discours de la méthode, publié un peu plus de trois ans après ce renoncement, Descartes évoque ce traité que « quelques considérations [l’] empêchent de publier ». Il est essentiel de noter que Descartes avait étendu le traité du Monde à l’étude de L’Homme, et qu’il avait commencé, fin 1629, à « étudier l’anatomie ».

Lorsque Descartes envisage de publier, le premier texte qu’il met au net est La Dioptrique, qui ne contient pas seulement des chapitres, – appelés Discours -, sur les lois de la réflexion et de la réfraction, et sur la taille des verres, mais qui contient d’importants Discours sur « les sens en général », « les images qui se forment sur le fond de l’œil », avec une dissection d’œil, et l’explication de la vision qui met l’accent, de manière novatrice, sur l’importance des nerfs optiques. Descartes décide ensuite d’ajouter un autre texte scientifique, Les Météores, où il explique notamment l’arc-en-ciel« merveille de la nature »puis il rassemble des textes mathématiques qui s’inscrivent dans La Géométrie, troisième « essai » de la méthode.

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