Dans « Imaginer la libération, des femmes noires face à l’empire », l’universitaire Annette Joseph-Gabriel met en lumière les parcours d’intellectuelles africaines et antillo-guyanaises du milieu du 20ᵉ siècle. Un essai passionnant qui redonne à Suzanne Césaire, Eugénie Éboué-Tell ou encore Paulette Nardal leurs justes places dans l’histoire des idées.
L’essai débute par une anecdote personnelle. Annette Joseph-Gabriel, professeure spécialisée dans les études de genre à l’Université Duke, en Caroline du nord, aux Etats-Unis, se souvient de ce jour de 2017 où elle a obtenu la citoyenneté française. Dans l’enveloppe qu’elle reçoit de la part du consulat, elle découvre aussi une brochure lui proposant de « franciser son nom ». Tout à la fois réconfortée et embarassée, Annette Joseph-Gabriel retourne aux travaux qu’elle est en train de mener et qui aboutiront à son essai « Imaginer la libération, des femmes noires face à l’empire ». Dans ce texte très fouillé, résultat d’années de recherches, l’autrice s’intéresse justement à la construction de la citoyenneté, de l’identité en France, « un pays qui se perçoit comme blanc tout en prétendant être aveugle à la couleur ».
Sept chapitres, fouillés, denses tout en restant accessibles, qui nous éclairent sur les parcours d’intellectuelles noires du milieu du 20ème siècle, au coeur de l’ancien empire colonial français. Sept femmes antillaises, guyanaise, africaines, oubliées des livres d’histoire mais qui ont pourtant contribué, chacune à leur manière, à poser les bases d’un féminisme noir. Dans son essai, Annette Joseph-Gabriel met en lumière les réseaux qu’elles ont construits et montre comment ils résonnent aujourd’hui. La 1ère l’a rencontrée à l’occasion de la sortie de la traduction française de son livre et au moment de son passage dans l’Hexagone.
La 1ère : Votre livre nous plonge dans la vie et l’œuvre de sept penseuses et militantes noires du milieu du 20ᵉ siècle. Comment avez-vous travaillé ?
Annette Joseph-Gabriel : Je dis souvent que je n’ai pas choisi ces femmes, ce sont ces femmes qui m’ont choisie. Le livre ne propose pas de retracer leurs vies mais analyse plutôt leur contribution aux luttes anticolonialistes, à la pensée antillaise et à celle de la diaspora africaine. Nous avons tendance à privilégier les voix masculines, par exemple lorsqu’on évoque la Négritude. Pourtant ce sont aussi des femmes, Suzanne Césaire ou Paulette Nardal, qui ont bâti ce mouvement à la fois dans le domaine artistique, philosophique et politique. En littérature, on va aussi souvent privilégier certains genres de textes comme les romans, la poésie, les essais. Comme Suzanne Césaire n’a publié que quatre ou cinq essais, on pourrait supposer qu’il n’y a pas grand-chose à dire sur elle alors que lorsque l’on puise dans ses lettres ou ses rapports, on peut observer l’évolution de sa pensée. Analyser ces documents nous demande de regarder l’Histoire autrement.