La lobotomie : histoire d’une aberration médicale et des impensés qu’elle révèle

En 1975, le film de Milos Forman, Vol au-dessus d’un nid de coucou, fait découvrir au grand public l’horreur d’une pratique quasiment révolue, la lobotomie. Son histoire remonte au milieu des années 1930 et concerne plus d’une centaine de milliers de personnes. Validée par un prix Nobel en 1949, popularisée par le docteur Freeman aux États-Unis, elle a marqué nombre d’histoires familiales, comme celle de la réalisatrice franco-colombienne Catalina Villar, qui lui a consacré un film en 2023.

La neurochirurgie moderne apparaît au début du XXe siècle. Le terme est inventé par le médecin Harvey Cushing en 1904. Cette discipline a apporté depuis des progrès considérables dans le soin de maladies jusque là incurables, notamment les tumeurs, bénignes ou malignes, ou les ruptures d’anévrisme. L’une de ses branches, appelée psychochirurgie, l’a en fait précédée de quelques dizaines d’années, sous l’impulsion du professeur suisse Gottlieb Burckhardt.

Cette discipline, appelée aussi neurochirurgie des troubles mentaux, naît d’une collaboration entre psychiatres, puis neuropsychiatres, et ceux qu’on nommera bientôt les neurochirurgiens. Elle vise à soigner des maladies mentales par une modification physique du cerveau, la destruction ou le retrait de la partie supposée responsable du trouble. Cette psychochirurgie ablative a aujourd’hui à peu près disparu au profit de la stimulation cérébrale profonde, dont l’objectif est de stimuler des zones du cerveau à l’aide d’électrodes implantés.

Egas Moniz, la « leucotomie  » et le prix Nobel

Egas Moniz reste l’un des quatre Prix Nobel portugais à ce jour, toutes disciplines confondues. Il est nommé à ce titre à plusieurs reprises, pour des recherches autour de l’artériographie, ou angiographie cérébrale, qui représentent une révolution dans le diagnostic des anévrismes et des artérites. Polygraphe, il s’intéresse précocement à la sexualité. Son ouvrage, A vida sexual (1901), n’est guère rappelé aujourd’hui que comme un parfait exemple de l’homophobie ambiante au début du XXe siècle, à laquelle il prétend apporter une caution scientifique.

Dès 1937, cependant, l’intérêt qu’on lui porte vient de ses recherches en psychochirurgie, inspirée de celles menées par des physiologistes de Yale, qui ont pratiqué l’ablation des lobes frontaux de deux chimpanzés. L’un deux en est sorti avec un caractère très modifié, « plus calme et plus coopératif ». Largement occupé par ses fonctions diplomatiques et militaires durant la Grande Guerre, puisqu’il assume un temps le rôle de ministre des Affaires étrangères, Egas Moniz a néanmoins remarqué, comme nombre de ses contemporains, des « changements de caractère et de personnalité » chez les nombreux soldats blessés aux lobes frontaux.

// En savoir plus