Colloque : Université Paul-Valéry, Montpellier, 2-4 juin 2025
Depuis la Vie des hommes infâmes, que M. Foucault avait construite en regard des Vies des hommes illustres de Plutarque, le couple de notions « illustre » / « infâme » renvoie sous l’Ancien régime aux technologies des évaluations sociales, que celles-ci soient positives ou négatives, durables ou réversibles. Mais la question de la spécificité de la réputation des femmes par rapport à celle des hommes est restée encore trop peu étudiée à l’époque moderne, malgré un récent regain d’intérêt pour la notion, qui résonne désormais avec les problématiques propres au champ médiatique et aux espaces numériques du XXIe siècle.
Réputation, renommée, fame (du latin fama), honneur, gloire, crédit, illustration ou exemplarité : une terminologie s’est en effet développée en France du XVIe au XVIIIe siècle pour qualifier les formes d’évaluation sociale des individus, dont la nature et les critères paraissent évoluer au cours de la période, ce qu’il convient de saisir grâce à des distinctions et des nuances internes. L’« honneur » semble ainsi renvoyer au système le plus ancien, où l’honneur féminin se fonde essentiellement sur la chasteté ou la pudeur, et diffère de l’honneur masculin, défini surtout par la valeur guerrière, le courage et la puissance. Déplaçant ces frontières, le modèle de la « femme forte » répond cependant à celui de l’homme « illustre », comme en témoignent de nombreuses « galeries », littéraires ou picturales. Se fait ainsi jour « une figure féminine remarquable par ses vertus propres qui peuvent, poussées à un degré supérieur, configurer de possibles critères d’une singularité féminine héroïque, et pas seulement de héros féminin » (A.-É Spica). La « renommée » ou la « gloire », terme repris dans le vocabulaire théologique, portent l’idée d’une transcendance, qui prétend abolir la finitude du temps présent. Empruntée à la pensée politico-juridique, la « réputation », émancipée de la seule contrainte d’un statut garanti par des évaluations stables et manifestes (le rang, le titre, le sang, les terres), est le plus souvent le support d’un discours normatif et genré. On se rappelle ainsi le discours que Mme de Chartres tient à sa fille sur son lit de mort : « pensez que vous allez perdre cette réputation que vous vous êtes acquise, et que je vous ai tant souhaitée. » (La Princesse de Clèves, 1678). Les dictionnaires de langue, au xviie siècle, n’en rendent pas directement compte, sinon au travers d’exemples traduisant dans des expressions figées des préjugés silencieux : « Il ne faut qu’une victoire pour mettre un Capitaine en réputation » ; « Une femme n’a rien de plus cher que sa réputation » (Furetière). La réputation d’un homme tient à son épée, elle se gagne ou se perd sur le champ de bataille ou dans les duels ; celle de la femme tient à sa virginité et le rapt la ruine. Tallemant des Réaux évoque ainsi Mlle Paulet, qui réintègre le cercle de Catherine de Rambouillet, après avoir « purgé sa réputation » et Sévigné écrit, non sans raillerie, à Bussy-Rabutin, le 6 juillet 1670 : « J’ai une bonne réputation. Mes amis m’aiment ; les autres ne songent pas que je sois au monde. Je ne suis plus ni jeune ni jolie ; on ne m’envie point. Je suis quasi grand-mère c’est un état où l’on n’est guère l’objet de la médisance. Quand on a été jusque-là sans se décrier, on se peut vanter d’avoir achevé sa carrière ».