La représentation des drogues dans l’histoire des sociétés. Le cas français.

L’histoire des drogues se fond dans l’histoire des hommes. Le mot lui-même mélange santé (médicament) et maladie (toxique), bien-être et mal-être, humanité et dangerosité sociale. Les drogues et leurs usagers sont abondamment montrés dans la littérature et les arts. Leur présence même vaut la définition des normes de vie en société : tolérance ou intolérance, sociabilité ou disqualification sociale, intégration ou exclusion. Elles permettent même d’étudier les consommations et leurs représentations sous l’angle du genre. Question d’époque.

Trois périodes sont en effet considérées : un temps où la curiosité pour les drogues le dispute à l’enthousiasme et où le savoir-vivre passe par l’échange entre pairs (XVIe-XVIIIe siècle) ; un temps où les drogues, sous l’effet de la démocratisation de leurs usages, commencent à inquiéter la gent médicale (XIXe siècle) ; un temps enfin où la réglementation, voire l’interdiction des drogues (stupéfiants, alcool et tabac) provoque la disqualification sociale des usagers.

Poser la question des « limites », c’est étudier la société en général, parce que c’est considérer les normes, les tolérances et les intolérances en vigueur à un moment donné. Le terme de « drogue » évolue singulièrement dans l’espace comme dans le temps. D’une société, il affiche les valeurs (savoir-vivre, convivialité, santé), les pratiques (normalité, licéité), les déviances et défiances (dangerosité sociale, risques). Un regard, comme cet enfant, sur les cinq derniers siècles occidentaux, particulièrement en France, montre l’audace, l’envie, le besoin, l’embarras, la peur des sociétés vis-à-vis des produits modificateurs de conscience.

XVIe-XVIIIe siècle : l’intrusion des drogues exotiques dans les sociétés occidentales

Quand André Thevet, moine cordelier d’Angoulême (France), réalise son grand voyage sur les terres nouvellement découvertes, il voit et rapporte les pratiques indiennes en matière de consommation de produits psychotropes Thevet, 1983). Les Indiens fument de grands « tabacos », en langue espagnole des feuilles roulées sur elles-mêmes, pour communiquer avec les esprits ou pour couper la faim lors des campagnes de guerre ou de chasse. Leurs femmes sont interdites de « fume » (Molimard, 2004). Thevet est de plus le premier, semble-t-il, à ramener ladite plante en Europe : « Je puis me vanter d’avoir été le premier en France qui a apporté la graine de cette plante et pareillement semée, et nommée la dite plante l’herbe angoumoisine. » (Thevet, 1571) De leur côté, dans les Andes, les conquistadors découvrent les pratiques indiennes de la mâche de la feuille de coca et ses vertus en matière de résistance à la faim et de dépassement de soi. Cependant, ni les légendes de la coca rapportées par Monardes en 1580 à la cour de Madrid, ni les écrits flatteurs du poète anglais Cowley au XVIIe siècle ne permettent de diffuser l’usage de la coca. Il faut attendre de la faire infuser dans le « bon » vin de Bordeaux pour obtenir un produit goûteux pour les palais européens : c’est le vin Mariani de 1863. On prétend même que trois verres de Coca-Cola du début du XXe siècle , – digne successeur du vin Mariani –, contiennent autant de cocaïne (30 mg) qu’un rail de « coke » !

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